Mai2017 auteur : danielvidal9@hotmail.com

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L’illustration du savoir-faire d’une personne cérébrolésée en fonction des conditions de faire.


Le savoir-faire en général est toujours relativement dépendant des conditions de faire et donc du contexte dans lequel il se déroule par exemple l’architecte plongé dans un projet prégnant qui ne pourra pas se concentrer et exercer son talent dans un environnement perturbant ou encore le plombier qui a oublié sa caisse à outils et devra se contenter des outils rudimentaires de son client (on reconnaît le bon ouvrier à ses outils), mais également le violoniste classique qui n’arrive pas à répéter à cause du bruit de la radio de son voisin et dernier exemple d’un réparateur auquel on demande de remettre en état un téléviseur grillé par la foudre voici quelques cas parmi d’innombrables situations qui pourrais me venir à l’esprit comme pouvant perturber ou mettre à mal le savoir-faire quand les conditions de faire ne sont pas adaptées.

Il est donc bien évident que pour tout un chacun le savoir-faire est plus ou moins conditionné aux conditions de faire qu’elles soient d’ordre pratique ou émotionnel, mais nos capacités de relativisation et de correction nous permettent de compenser et de nous adapter aux circonstances plus ou moins défavorables au savoir-faire que nous voulons mettre en œuvre, mais il n’en est pas de même pour les personnes cérébrolésées qui rencontrent de plus ou moins grandes difficultés d’adaptation aux conditions de faire en fonction de l’importance de leurs déficiences cognitives.

Je considèrerai le savoir-faire des personnes cérébrolésées en deux catégories en raison des conditions de faire plus ou moins contraignantes, la première catégorie sera celle du savoir-faire professionnel dans les conditions de l’emploi et la seconde catégorie sera celle du savoir-faire particulier à chaque individu dans les situations de la vie courante.

En ce qui concerne les personnes cérébrolésées, le savoir-faire peut être plus ou moins directement altéré par les déficiences cognitives dans le fonctionnement des processus exécutifs pour pouvoir exercer le savoir-faire et aux  capacités restantes d’adaptation aux contextes écologiques pour trouver les meilleures conditions de faire possibles. 

Le contexte écologique professionnel est celui ou le savoir-faire est totalement conditionné aux conditions de faire en raison des priorités économiques et fonctionnelles des entreprises et donc dans le cadre du handicap, on aménage le poste et les conditions de travail quand cela est possible en fonction du type de handicap, mais comment pour un employeur lambda, aménager le poste et les conditions de travail d’une personne souffrant de déficiences cognitives qui vont altérer sa capacité d’adaptation.

Le contexte écologique social ordinaire est plus souple que celui de l’entreprise, mais il peut également exister des contraintes particulières plus ou moins importantes ou simplement des contraintes ordinaires de la vie courante qui affecteront la capacité de faire, car chez les personnes cérébrolésées l’adaptation aux contraintes est un obstacle qu’elles franchissent avec plus ou moins de difficultés en fonction des déficiences cognitives et peuvent avoir tendance à les refuser, les contourner ou s’adapter arbitrairement.

Le savoir-faire, la capacité de faire sont toujours conditionnés par les  conditions de faire pour tout un chacun, mais cela devient un problème crucial et récurrent chez les personnes cérébrolésées et les illustrations qui vont suivre en font la démonstration.


Je vais maintenant illustrer mon propos à partir de deux exemples complétés
par des vidéos concernant deux personnes cérébrolésées différentes.

La première illustration concerne un monsieur que nous nommerons Paul pour conserver son anonymat.

Paul est âgé aujourd’hui de 45 ans. Il était âgé 27ans quand véhicule avait été percuté par un camion en 1999. L’indice de Glasgow était de 6/15  à son arrivée à l’hôpital. Après un long séjour en soins intensifs et une rééducation d’une année, il a tenté en 2001 de reprendre le travail n’ayant pas conscience qu’il en serait incapable. C’est un premier paradoxe qui l’a conduit à s’arrêter plusieurs fois puis à abandonner l’idée de retravailler. Il était à ce moment seul pour prendre ses décisions n’ayant pas encore rencontré son épouse actuelle. Il a ensuite suivi un long parcours indemnitaire dans le cadre d’un recours contre tiers « loi Badinter » et a obtenu une indemnisation qui ne lui attribue que 2 heures par jour d’aide humaine, il perçoit en outre une rente accident du travail dont le taux d’incapacité est fixé à 51 %, car il s’agissait d’un accident de trajet et la MDPH a fixé son taux d’incapacité à 67 %. Le dossier d’indemnisation a été clos en 2006 soit 7 ans après l’accident.

Actuellement son épouse lui apporte l’aide humaine qui lui est indispensable. J’ai pu constater en fonction des dires et des attitudes de ce monsieur, mais aussi en fonction de ce qu’a exprimé son épouse qu’il avait une grande lenteur tant dans l’élocution que pour rassembler ses idées et selon ses dires également dans les activités manuelles et aussi dans les réflexes.

Il conserve une assez bonne cohérence mentale évocatrice, mais une grande distractibilité qui l’amène à la dispersion dans l’exécution, car il perd fréquemment le fil d’Ariane de ses actions exécutives. Le paradoxe est que lorsqu’il agit en superviseur de ses comportements, il décrit bien ses difficultés, mais paradoxalement dans l’action il est incapable d’y remédier.

Paul avait tenté de retravailler et son savoir-faire était antérieurement particulièrement apprécié par son employeur qui a fait preuve de tolérance, mais il a abandonné au quatrième arrêt de travail ne pouvant plus s’adapter aux conditions  de travail.

Sur la vidéo 1 l’épouse de Paul nous dit qu’il sait faire des choses et que parfois il n’y arrive pas et il termine son propos en disant « c’est terrible ». Nous constatons dans cette vidéo que ce monsieur est conscient que la plupart du temps il n’arrive pas à réunir les conditions qui lui permettraient d’exercer son savoir-faire.

La vidéo 2  à pour sujet le montage des nouveaux meubles de la cuisine ou Paul a apporté son concours au cuisiniste bienveillant avec lequel il a collaboré. Il a ainsi démontré une certaine capacité de supervision des travaux en apportant son expertise d’électricien. La bienveillance et la valorisation améliorent les conditions de faire de tout un chacun, mais devient primordiale quand il s’agit des personnes cérébrolésées.

J’ai pu constater chez de nombreuses personnes cérébrolésées une certaine capacité de produire une forme de supervision de taches, de situation, d’évènement quand elles ne sont pas directement impliquées dans l’exécution, mais être incapable de mettre en œuvre les observations souvent pertinentes qu’elles avaient formulées.

 
 

Sur la vidéo 3, l’épouse de Paul affirme qu’il est très bricoleur, qu’il sait faire des choses, mais qu’il n’arrive pas à les faire. Les déficiences cognitives perturbent plus ou moins la maitrise d’un savoir-faire et les capacités d’adaptation aux conditions de faire sont difficiles à réunir.

Son épouse commente qu’il va chez la voisine et oubli de rentrer pour aider à ranger la terrasse comme cela était prévu, mais il est plus motivant et valorisant pour Paul de réparer le chauffe-eau de la voisine et comme il se trouve dans un moment convivial satisfaisant, il zappe complètement ce qui était demandé par son épouse. Il a été capable de réparer le chauffe-eau de la voisine en identifiant la panne et en allant acheter la pièce à remplacer.

Les conditions de faire de Paul étaient valorisantes, motivantes et conviviales entrainant une confiance en lui retrouvée qui se conjuguera avec le plaisir et l’autosatisfaction ouvrant ainsi la porte à un savoir-faire plus ou moins retrouvé.

 


La deuxième illustration concerne un monsieur que nous appellerons Claude pour conserver son anonymat.

Claude est âgé aujourd’hui de 31 ans, son AVP date de 2011 ou il a perdu le contrôle de son véhicule et est allé s’encastrer dans camping-car qui arrivait en sens inverse. Il avait un indice de Glasgow de 6/15 lors de son arrivée aux urgences de l’hôpital. Après un séjour en réanimation, il a rejoint une clinique de rééducation pendant 8 mois. La MDPH a estimé son incapacité à 80 % avec une orientation SAMSAH et lui a accordé le versement de l’AAH.

 

Sur la vidéo A Claude explique qu’il a voulu reprendre des études cinéma 2013 et il parle de phobie sociale, changement de lieu de vie ce qui démontre que ce sont les conditions nouvelles d’existence auxquelles il n’arrivait pas à s’adapter et même s’il n’est pas certain qu’il y ait une vraie capacité à suivre ces études (savoir-faire) il est par contre certain que le contexte n’était pas propice comme le décrit Claude (conditions de faire).

La connaissance objective et pragmatique de Claude dans sa capacité à reprendre des études (savoir-faire) et à choisir la bonne filière est perturbée par ses déficiences cognitives, mais lorsqu’il analyse son premier échec il l’envisage sous l’aspect d’une phobie sociale liée à l’adaptation à de nouvelles conditions d’existence (conditions de faire).

 

 

Sur la vidéo B Claude admet avoir eu une mauvaise stratégie d’autant qu’il reconnait ne pas avoir de projet concret et il estime s’être rendu compte de son handicap quand il s’est inscrit en philosophie et qu’il s’est agi de produire un travail, car il dit n’être pas arrivé à entreprendre.

J’avais eu Claude au téléphone à l’époque où il avait tenté de reprendre des cours à la faculté et il mettait sa fatigue sur le compte des trajets en vélo et je lui avais répondu qu’il y avait peut-être aussi la tension nerveuse due aux difficultés d’adaptation à une concentration élevée pour suivre les cours. Il pense aujourd’hui que c’est la production d’un travail personnel qui l’a empêché de continuer à la faculté ce qui est une justification incomplète, car il occulte le fait qu’il n’arrivait pas à suivre en cours dans un contexte stressant.

 

Claude admet sans détour que sa stratégie n’était pas la bonne, mais comment pouvait-il en être autrement d’autant que les conditions du retour à des études n’ont pas été accompagnées et quel que soit le niveau de capacité d’une personne avec des déficiences cognitives (savoir-faire) il sera très difficile pour ne pas dire impossible d’adapter le contexte d’une faculté ou d’un organisme de formation (conditions de faire).


Pour conclure, j’affirmerai que le savoir-faire des personnes cérébrolésées est rarement en adéquation avec les conditions de faire et cela pourra concerner les taches les plus banales quand des troubles émotionnels plus ou moins importants seront de la partie en impactant le discernement.

Il n’y que les personnes cérébrolésées dont les troubles sont qualifiés de léger qui parviennent plus ou moins en fonction de leurs capacités de résilience à exercer leurs savoir-faire en s’adaptant aux conditions de faire avec tout de même des risques d’échec dans le monde du travail ordinaire qui impose des contraintes souvent incontournables.


 

 


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